· 

Résultats et analyse du sondage : Quelle perception de la tradition africaine par l'afrodescendant-e en Occident ? (2/2)

 

 

En resituant la tradition africaine dans le développement de l’Afrique, j’ai cherché à comprendre quelle était la perception des répondants. La tradition africaine, une force ? Un obstacle ? Nous observons que plus des trois quarts considèrent la tradition africaine comme une force. J’ai poussé la réflexion en leur demandant pourquoi ? Parmi les différents retours reçus, un homme (16-25 ans, né en Occident et qui y vit) dont la perception de la tradition africaine comme une force était évidente a répondu : « Rien que de se demander pourquoi la tradition est importante est idiot en soi. On en est à ce niveau de se demander ça… ». Malheureusement, notre histoire depuis l’Egypte Antique jusqu’à présent, fait que nous avons besoin de nous rappeler et je dirais même de découvrir ces éléments qui font notre force. Nous avons précédemment expliqué comment notre perception de la tradition africaine était différente et parfois biaisée du fait de la complexité d’en extraire les pratiques originelles. La tradition africaine a elle-même été fortement influencée par les apports d’autres cultures. Je pense que si la réponse à cette question était aussi évidente que cela pour tout le monde, l’Afrique n'aurait pas connue un stade d’évitement de la tradition africaine au profit du modèle occidental. Elle ne se retrouverait peut-être pas économiquement, psychologiquement, socialement influencée voire dominée et exploitée par les tenants de l'impérialisme occidental. Je vous invite à me donner votre point de vue sur le sujet. Pour ma part, je trouve que les rappels et découvertes sont importants et je vous décris donc ci-dessous les retours qui sont le plus souvent revenus en considérant que la tradition africaine est une force.

 

La tradition africaine est une FORCE au développement de l’Afrique parce que :

Nombre de fois évoqué* (en %)

Elle représente notre identité, nos origines, notre histoire

31%

Elle est l’essence de toutes les cultures

7 %

C’est à travers elle que nous avons jadis créé et développer de grands empires.

5,6 %

L’Afrique ne pourra se développer qu’en suivant son propre modèle basé sur sa tradition

4.2 %

Savoir et respecter qui tu es, permet de connaître ton chemin et te fixer des objectifs

4.2 %

Beaucoup de valeurs en découlent et si nous développons notre économie dessus et non sur celle de l’Occident, elle élèvera beaucoup d’africains.

 

4.2 %

Un développement passe par une mise en valeur de la culture et de sa personne

2.8 %

Elle permet aux générations futures de garder un lien avec nos ancêtres et la façon dont ils vivaient

2.8 %

Elle nous émancipe et nous induit à construire une Afrique solide et forte

2.8 %

Elle est unique, originale, authentique

2.8 %

Certaines activités solidaires et de mise à profit des liens familiaux permettent de créer des réseaux d’entre aide

2.8 %

 *142 retours

 

L’idée que la tradition représente notre identité et notre histoire est régulièrement revenue. Parmi les répondants, certains expliquaient que : « l’Afrique a été asservie pendant longtemps, si nous perdons nos traditions, c’est l’Afrique que nous perdons », « on ne peut pas avancer en s’identifiant à des traditions qui ne sont pas les nôtre » , «  les fondements reposent sur la tradition », « chaque peuple évolue selon ses réalités donc restons africains », «  sans identité, on ne peut rien construire de solide », « Aucun développement pour un peuple aliéné », « on ne peut pas aller de l’avant en reniant notre histoire, notre essence ». De plus, l’idée que c’est la tradition qui est l’essence de toutes les cultures a été plusieurs fois évoquée : « Elle est l’essence des sociétés dominantes, pourquoi ça ne serait pas le cas pour les pays d’Afrique ? »

 

Ensuite, plusieurs personnes ont rappelé que jadis, c’est la tradition africaine qui a permis de développer l’Afrique  : « depuis la colonisation, nous sommes occidentalisés et ce n’est pas pour autant que nous sommes développés, si on observe le passé, c’est avec nos traditions que nous avons eu de grands empires : Ashanti, Mali, Kongo, Songhai », « nous pouvons avoir une gouvernance de la société par les « arbres à palabres », «  la tradition doit évoluer mais pas changer, avant l’Afrique s’est développé avec les rites et les coutumes ».

 

Une autre idée qui rejoint la précédente, c’est que l’Afrique doit se développer avec ses traditions et non la tradition occidentale : « On ne peut pas évoluer en « copiant » une autre », « actuellement nous imitons un modèle qui ne nous convient pas, nous ne sommes pas obligés de nous développer selon les critères occidentaux  (exemples : chefferie, conseil des sages) ».

 

Les valeurs dans la tradition africaine ont été aussi mis en évidence : « beaucoup de valeurs en découlent et si nous reposons notre économie sur le modèle des traditions, elle élèvera beaucoup d’africains ».

 

Enfin, nous retrouvons également plusieurs autres raisons : l’authenticité de la tradition africaine qui se distingue des autres traditions, l’art africain qui apparaît comme une force ou encore le développement qui passe par la mise en valeur de sa culture et de sa personne.

 

Nous observons que pour beaucoup, la tradition africaine contient des éléments divers et variés pour contribuer au développement de l’Afrique. Néanmoins, certaines personnes émettent tout de même des limites qui feraient de la tradition africaine un obstacle au développement pour diverses raisons :

 

La tradition africaine est un OBSTACLE au développement de l’Afrique parce que :

Nombre de fois évoqué* (en %)

Certaines coutumes ou mauvaises habitudes peuvent empêcher la remise en question nécessaire au développement et provoquer une stagnation

27 %

Les traditions spirituelles empêchent le développement

6 %

Les mentalités doivent évoluer comme la vie, tout évolue

3 %

Il faut se mettre à niveau pour être compétitif

3 %

Trop se reposer sur sa famille peut mener à de l’assistanat au détriment de l’esprit innovateur, entrepreneur

3 %

Certaines pratiques n’apportent rien aux africains car elles ont été apportées par des peuples non-africains

3 %

Certaines pratiques ne concordent pas avec le temps d’aujourd’hui

3 %

La plupart des africains s’en servent pour masquer leur fainéantise

3%

Dans sa forme la plus extrême, elle empêche l’évolution de la société

3%

Elle empêche de faire face au problème avec pragmatisme

3%

Elle aggrave les inégalités

3%

Elle entrave l’accès à l’éducation, notamment des jeunes filles

3%

Il y a le patriarcat au détriment des femmes

3%

 *32 retours

 

La première raison évoquée ci-dessus concerne certaines coutumes ou mauvaises habitudes qui empêchent une remise en question et provoquent une stagnation. D’autres personnes évoquaient  les traditions spirituelles, les mentalités qui doivent évoluer où l’obligation de se mettre à niveau pour être compétitif.

 

Lorsque j’analyse ces retours, certaines réflexions font sens. L’idée de stagnation en se reposant trop sur certaines habitudes, le fait que dans sa forme la plus extrême elle empêche l’évolution de la société, le fait d’utiliser des pratiques non-africaines ayant des conséquences négatives au développement africain. Selon moi, ces raisons ne sont pas dans l’opposition radicale. Parmi les termes on retrouve beaucoup : « certaines coutumes », « certaines pratiques », « trop se reposer sur… » Ces retours ne me disent pas que la tradition africaine dans son ensemble est un obstacle au développement mais que certaines pratiques auraient des limites. D’autres retours induisent que la tradition serait un réel obstacle : « Il faut se mettre à niveau pour être compétitif ». Comment la tradition influence-t-elle la compétitivité du continent ? Ou encore « La plupart des africains s’en servent pour masquer leur fainéantise » ? La plupart des africains sont fainéants ? Enfin « elle aggrave les inégalités » ? Quelles pratiques concrètes les aggravent ?

 

Encore une fois, tous ces retours à la question : Pourquoi la tradition africaine est une FORCE ou un OBSTACLE sont enrichissants. Parmi les répondants, une personne affirmait : « Penser que cela serait un obstacle, ça serait douter de sa force ». Selon moi, les résultats généraux à ces questions mettent en lumière une tradition africaine qui serait la base, la force au développement de l’Afrique et qu’elle contient des limites. Et vous quelle est votre analyse de ces retours ? J’ajoute encore une fois que prendre conscience des pratiques originelles et modernes de la tradition africaine est important. Certains qui n’y verraient pas d’intérêt pourraient se dire : « C’est bien en 2017 de dire que telle pratique est moderne ou telle pratique originelle dans la tradition africaine mais qu’est-ce que ça change maintenant ? Les problématiques, les réalités sont là ce n’est pas en les justifiant par le fait que ça vient ou que ça ne vient pas de chez nous que l’on va les résoudre. » Je pense que c’est déjà un bon début. La prise de conscience et la compréhension de nos propres pratiques sont importantes et permettent aussi de sensibiliser et de réfléchir le développement autrement que dans le maintien de l’ordre actuel qui se fait au détriment du développement de l’Afrique.

 

 

Parmi les répondants, plus de 91 % pensent que le mode de vie africain doit évoluer à son propre rythme sans nécessité d’un modèle occidental. Ensuite, 4,5% pensent que le modèle africain doit ressembler au mode vie occidental pour se développer et également 4,5%  considèrent à l’inverse que le modèle africain est très bien tel qu’il est, qu’il n’a pas besoin d’évoluer.

 

 

 

 

Parmi les personnes interrogées, 63,9 % ont été élevées dans la tradition africaine et souhaite la faire perdurer. 25 % des répondant-es n’ont pas du tout été élevé-es dedans mais souhaite l’inclure dans leur vie. Nous observons que l’idée de se reconnecter avec ses racines et de les faire perdurer est très importante pour 89 % des répondants.

Au contraire, 4,4 % des personnes ont été élevées dans la tradition africaine mais n’y ont pas forcément tiré grand-chose. 6,4 % des répondant-es n’ont pas été élevé-es dans la tradition africaine et n’ont pas éprouvé un manque particulier, un besoin de reconnexion. Au final, près de 11% des personnes interrogées n'éprouvent pas le besoin de renouer avec leurs racines ou de la faire perdurer.

 

Je n’ai pas poussé la réflexion afin d’obtenir plus d’informations sur les causes du besoin ou non de se reconnecter avec ses racines et de les faire perdurer. Cela peut être intéressant d’avoir un approfondissement sur cette différence de point de vue.

 

En résumé

Au final, au regard de ce sondage nous observons tout d’abord que la distinction entre religion et culture pour caractériser la tradition africaine se fait naturellement. Une distinction qui marquerait la limite entre deux perceptions de la tradition africaine. D’une part, la tradition originelle où la religion/la spiritualité africaine était considérée comme partie intégrante de la culture africaine. D’autre part, la perception de la tradition « influencée » où la distinction s’effectue pour marquer le fait que les religions dominantes de nos jours en Afrique ne font pas parties de la culture africaine. Ensuite, plus de la majorité des répondants ne considèrent pas la tradition africaine comme dépassée ou arriérée. Le point de vue de ces personnes est plutôt nuancé. C’est ce qui se confirme parmi les pratiques considérées comme dépassées ou à conserver. Plusieurs éléments reviennent : excision, mariage arrangé, castes,… pour ce qui serait dépassé et respect des ainés, hospitalité, entraide,…pour ce qui serait à conserver. Nous remarquons encore une fois que selon la vision « originelle » ou « influencée » de la tradition africaine, les réponses sont variées. Ensuite, la plupart des répondants considèrent la tradition africaine comme une force dans le développement de l’Afrique. Certains répondants mettent tout de même en avant des limites voire la considérerait comme un obstacle. Pour plus de la majorité des répondants, l’évolution du mode de vie africain ne doit pas reposer sur une influence de l’Occident, elle doit se réaliser à son propre rythme. Une très petite partie des répondants pensent tout de même que le mode de vie africain doit se calquer à celui de l’Occident pour évoluer. D’autres pensent que le mode de vie africain n’a besoin d’aucune évolution. Enfin, parmi les répondants,  89% considèrent que se reconnecter avec la tradition africaine et la faire perdurer est important. Les 11% restants on soit rien tiré de la tradition africaine ou n’éprouvent pas un manque pour ceux/celles qui n’ont pas été élevé-es dedans.

Merci

Je remercie les 158 répondants qui m’ont permis d’enrichir mes réflexions à ce sujet. J’espère que cette restitution sera aussi le cas pour vous ainsi que les autres lecteurs du blog. Comme je l’expliquais précédemment, c’est à partir de ces résultats que je rédigerai les prochains articles de cette rubrique, axant la réflexion sur un sujet précis toujours au regard de mon vécu, de mes expériences et de mes recherches.

Écrire commentaire

Commentaires: 0