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"Vous voyez le racisme partout !"

Cet article a été rédigé quelques mois plus tôt. Je trouve pertinent de le mettre en lumière maintenant, au regard d'une actualité dans laquelle les faits et actes racistes font échos aux sujets que j'aborde.

Combien de fois n'ai-je pas entendu cette phrase s'agissant de non-noirs à destination de noirs : "Vous voyez le racisme partout ! ". La multiplication de faits considérés comme racistes a mis en évidence cette pensée. La collection "esclave" de mango, le sweet-shirt vendu par H&M, représentant un petit garçon posant avec la phrase "coolest monkey in the jungle" ou bien les nombreux blackfaces réalisés par des non-noirs. Je pourrais également évoquer la mort d'hommes noirs pendant ou à la suite d'interpellations policières douteuses ou encore très récemment, les vives réactions ayant suivi le discours de la nouvelle porte parole de l'Elysée ces derniers jours.

 

"Vous voyez le racisme partout" sous entend "Vous avez souvent tendance à vous victimiser" et donc  "Arrêtez d'utiliser la façon dont vos ancêtres ont été traités plusieurs siècles plus tôt par les nôtres, pour justifier des difficultés auxquelles vous faites face dans la société". Je ne suis pas en opposition avec cette idée. En tant qu'afro-française, mon but n'est pas de jouer la carte de la victime mais bel et bien d'avancer, d'aller de l'avant en évitant justement de résumer mes ancêtres à l'esclavage et la colonisation. Ils ont été bien plus avant cette période. Cependant, je trouve que cette façon de penser provenant de certains non-noirs peut-être réductrice et mettre en avant la projection de peurs, malaises et inconforts de ceux-ci face au racisme. Des comportements qui peuvent endiguer sa lutte.

Nous avons cette partie majoritaire  de la population qui ne verrait pas le racisme car elle reproche aux afro-français de le voir partout. Il s'agit d'un point de vue intéressant car à la base, cette population n'est pas racisée mais privilégiée. Elle ne comprend donc pas intrinsèquement ce qu'englobe le racisme au quotidien vu qu'elle même ne le vit pas réellement au quotidien. Depuis quelques temps, certaines personnes blanches évoquent un racisme anti-blanc. Rien qu'en prononçant ce terme, je le trouve dénué de sens. Je ne suis pas en train de nier le dédain et la haine que certains noirs peuvent avoir envers des personnes blanches. Cependant, parler d'un racisme anti-blanc est selon moi, impossible.

Le racisme est cette théorie qui met en avant une hiérarchie des races, les personnes blanches ayant été positionnées au sommet et les personnes noires en bas de l'échelle. Le racisme envers les personnes noires revêt plusieurs formes dans notre société. Nous pouvons le retrouver dans la discrimination à l'emploi, au logement ou à l'éducation au profit des personnes blanches. Je pourrais complètement accepter l'idée qu'il existe un racisme anti-blanc, le jour où les personnes blanches se verraient refuser un logement au profit d'une personne noire (cet article cible principalement la population noire en France bien que je pourrais évoquer les autres populations dites "minoritaires"). Lorsque les statistiques liées à l'embauche mettront en évidence qu'à compétences égales une personne noire est privilégiée par rapport à une personne blanche. J'accepterais cette idée le jour où les personnes noires auront une position privilégiée vis-à-vis des personnes blanches dans la société française, ce qui n'est aujourd'hui pas le cas. Même dans les pays africains francophones, ou dans les DOM-TOM, la plupart des personnes blanches sont privilégiées par rapport aux personnes noires. Pour ces raisons, le racisme anti-blanc n'existe pas pour moi. Il y a des personnes noires qui vont avoir une certaine hostilité envers des blancs parfois gratuitement, souvent en réponse au racisme qu'elles subissent. Personnellement, je pense que cette hostilité est vaine et ne fera pas avancer la lutte contre le racisme. Afin d'agir efficacement, je pense qu'il faut voir le problème de façon systémique. Cette hostilité de personnes noires envers des personnes blanches peut être réelle et condamnable mais elle ne montre en rien l'existence d'un racisme anti-blanc.

Selon moi, les personnes non-racisées qui n'acceptent pas les dénonciations de faits racistes mettent en évidence leur incompréhension, leur inconscience, leur naïveté voire peut-être même une volonté de ne pas comprendre par peur de perdre leur statut de privilégié.

Le racisme se vit au quotidien. La discrimination en est une illustration. Lorsque nous nous rendons à un entretien d'embauche, lorsque nous visitons un logement sans savoir que le propriétaire ne veut pas de noirs car "ça fait trop de bruit ou que ça pue", pour citer les termes d'un de nos anciens Présidents de la République à ce sujet. Le racisme, c'est lorsque nous nous retrouvons parqués dans des logements insalubres de banlieue, que nous sommes tentés de rassurer le vigile dès que nous entrons dans un magasin pour éviter d'être suivis, soupçonnés d'être des voleurs en puissance. C'est aussi lorsque nous pleurons la mort de nos frères, fils ou maris, suite à une bavure policière ou que nous savons que pour réussir dans la société, il faudra travailler cent fois plus que la population blanche. Les personnes blanches privilégiées qui pensent que nous voyons le racisme partout ne peuvent réellement comprendre ce qu'elles n'ont jamais eu à vivre au quotidien. De leur tour d'ivoire, nos dénonciations ne seraient que des caprices qui renforceraient certains clichés que l'on attribue aux personnes noires : fainéantes, ne travaillent pas et se plaignent.

Ces personnes privilégiées ne peuvent peut-être pas comprendre car elles n'ont même pas conscience de la façon dont s'inscrit le racisme dans cette société. Nous vivons dans une société où le rapport au racisme est spécifique. On fait le choix de le nier. Il n'existe pas car " tous les hommes sont nés libres et égaux en droit". Bon, à l'époque de ce traité, la traite des esclaves était à son summum mais le gouvernement de l'époque a omis de l'évoquer. Et puis, c'est vrai qu'à l'époque, les esclaves n'étaient pas des hommes mais des " biens" au même titre qu'un meuble ! Comme quoi c'était déjà très hypocrite à l'époque ! Depuis, nous vivons dans l'illusion que tous les actes racistes sont isolés. Ce sont justes des gens cons. Pire encore, on nie le caractère raciste de certains actes car il y aurait prescription. Certaines actions se faisaient pendant l'esclavage et la colonisation, mais c'était il y a longtemps se disent-ils. Je peux citer la multiplication des nombreux blackfaces ou bien l'ouverture d'un restaurant Lyonnais qui de par le décor "cherchait à retranscrire l'esprit colonial, un esprit à la cool". Ces actes racistes dits "isolés" proviennent bien de quelque part. Des institutions ont été créées sur la base d'une théorie raciste. Ce racisme est intégré dans les institutions. La pensée raciste qui a été apprise et transmise de générations en générations ne s'est pas totalement évaporée avec le décret d'abolition de l'esclavage en 1848 et avec les indépendances des pays africains dans les années 1960. La discrimination au logement, à l'éducation ou à l'emploi en sont l'illustration. Les personnes non-racisées qui pensent que l'on voit le racisme partout, n'ont donc pas conscience qu'il est en effet partout. Les vives réactions et la polémique ayant suivi le discours de la nouvelle porte-parole de l'Elysée, noire mettent en exergue les restes, les séquelles de cette pensée raciste.

Selon moi, le racisme est parfois perçu de façon superficielle. Il est appréhendé en surface et non en profondeur. Le raciste c'est de façon caricaturale celui qui dit ouvertement qu'il ne veut pas de noirs chez lui, qui leur demande de rentrer chez eux en Afrique, ou qui les insultent de singes, de macaques ou de sauvages. Or, le raciste n'est pas que cela. Il peut l'être de façon bien plus subtile. Sans nous en rendre compte nous pouvons tous être racistes. Tout d'abord, celui qui ne dit pas n'en pense pas forcément moins. Ensuite, le raciste c'est aussi celui qui va intégrer des façons de penser et des comportements qui renforcent le positionnement de privilégié des blancs et celui des personnes dites "minoritaires" en bas de l'échelle. Ces pensées et comportements peuvent êtres conscients ou inconscients. C'est dans la façon de considérer la culture, l'éducation, le mode de vie que le racisme sera dilué.

 

Un raciste peut l'être même s'il n'en a pas conscience car il a vécu et hérité d'un système où sa position de privilégiée a toujours été évidente. La position de sauveurs de certains blancs vis-à-vis des noirs, les paroles à priori anodines du genre : "Je ne suis pas raciste, j'ai un ami noir" ou "Tous les noirs se ressemblent" sont des paroles racistes. A l'inverse, une personne noire qui a toujours vécu dans une position où son positionnement n'était pas privilégié peut avoir le risque de s'enfermer dans cette position et se victimiser. Il peut en exister en effet. Pour autant, je pense que la dénonciation d'actes racistes n'est pas un moyen de se victimiser mais de mettre franchement en évidence la réalité que certains ne voient pas ou bien souhaiteraient oublier. Le but sera de créer une prise de conscience de la portée raciste de ces actes pour lutter contre ce racisme. Ces dénonciations vont être considérées par certaines personnes blanches comme une façon de se victimiser et de s'enfermer dans cette position de non-privilégiée. Je pense surtout qu'elles voient la dénonciation de ces actes, comme le risque de perturber leur propre statut de privilégié qu'elles souhaitent à tout prix conserver.

Ces personnes blanches ont peut-être une pleine conscience de leur positionnement confortable par rapport aux noirs et ne veulent pas le perdre. La journaliste Robin Di Angelo a travaillé sur cette notion de "White  privileges" et explique que la lutte par le racisme passe également par la déconstruction de ses privilèges. Celle-ci l'explique très bien dans sa vidéo : "Desconstructing Whites Privileges with Dr  Robin DiAngelo".

Les personnes blanches qui ont peur de se voir perdre leurs privilèges ne vont pas l'affirmer tel quel. Elles vont faire semblant de ne pas comprendre les dénonciations ou affirmer que "nous voyons le racisme partout", que "les noirs ont de la chance en France car ailleurs comme aux Etats-Unis, c'est bien pire". Cela me fait penser à la video d'une professeure aux Etats-Unis avec ses étudiants. Elle demandait aux personnes blanches de la classe de se lever si elles souhaitaient avoir exactement la même position que les noirs aux Etats-Unis. Aucun des étudiants ne s'est levé. Elle affirmait alors qu'ils avaient pleinement conscience qu'ils étaient des privilégiés et qu'ils cautionnaient clairement la position que la société souhaitait imposer aux noirs.

En France, certaines personnes blanches nous diraient que les afro-français ont plus de chances qu'aux Etats-Unis et qu'ils ne devraient pas se plaindre. Je me demande si elles aimeraient obtenir ces chances ? Aimeraient-elles partager le même positionnement que les afro-français dans cette société ? Les discriminations au logement, à l'emploi, à l'éducation ? Ca les tenteraient ? Ou bien accepter de perdre certains de leurs privilèges pour favoriser l'égalité entre les afro-français et elles-mêmes ? Accepteraient-elles d'être exactement égaux aux afro-français ou préfèrent-elles conserver leur statut de privilégié ?

Pour moi, derrière les termes : "Arrêtez de faire les victimes", "le racisme n'est plus", "Il y a des cons partout", "Vous avez de la chance en France" se cachent des non-dits, des peurs et des malaises conscients ou non qui mettent en évidence la complexité du racisme en France et de sa lutte. Raison pour laquelle je pense que dénoncer les actes racistes est important tout en restant déterminé à avancer en parallèle par ses propres moyens. La réussite de nombreux noirs dans la société est liée à une détermination sans faille des capacités de résilience extrêmes, et un travail constant et sans relâche. Le plafond de verre sera toujours difficile à atteindre, mais nous avons soit le choix : de le regarder en étant convaincu qu'il est beaucoup trop haut pour nous et que nous n'arriverons jamais à l'atteindre, de le regarder en nous disant que nous emploierons tous les moyens pour aller le plus haut possible en nous dépassant chaque jour. Enfin, nous pouvons aussi faire le choix de créer notre propre plafond de verre. Qu'est ce que vous choisissez ?

A.S

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