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Femmes noires, hommes noirs, modifions la vision que nous pouvons avoir de la solidarité entre noir-es

"Encore un-e noir-e ! ", "On peut jamais faire confiance aux noir-es ! ", "Le premier ennemi du noir, c'est le noir ! ". Nous afro-descendant-es, n’avons-nous pas un jour prononcé ces mots ou ne serait-ce que les penser suite à une mauvaise expérience avec une ou plusieurs personnes de notre communauté ? En analysant l’histoire ? Je l'avoue cela m'est déjà arrivé. Lorsque j'en ai pris conscience, je m'en voulais d'avoir été formatée de façon à confirmer, mettre en évidence et valider aussi facilement les manquements et les méfaits des membres de ma communauté. Disiz la Peste, rappeur français a bien résumé cela lors de son interview pour Conscience noire (média œuvrant pour la conscientisation des noir-es). Il affirmait : "C'est incroyable comment le noir a cette capacité à montrer son semblable dans ses pires travers". Je me suis demandée pourquoi ? Bien évidemment, il y a une bonne part de séquelles historiques dans la façon dont nous pouvons percevoir la mauvaise attitude d'une personne noire et l'image négative que nous pouvons avoir de la solidarité noire aujourd'hui. Pour autant, je ne nierais pas la part de responsabilité consciente ou non que nous pouvons avoir dans l'entretien de cette réputation communautaire. Et si nous apprenions à éviter de faire de nos mauvaises expériences personnelles avec nos semblables, des vérités générales ? Et si nous nous rappelions que dans d'autres communautés et civilisations, il y a aussi eu des traîtres et des corrompus ? Enfin, si nous remettions en cause dans nos têtes cette doxa selon laquelle la solidarité entre noir-es n'aurait jamais existé ?

 

Les origines de la doxa que beaucoup d'entre nous ont intégré : la solidarité entre noir-es n'existe pas.

 

Cette doxa provient selon moi principalement de l’esclavage et de la colonisation qui ont volontairement créé la division et la désunion africaine au sens propre du terme. Une expression très connue dit : "Diviser pour mieux régner". Cette expression a pris tout son sens au moment de l'esclavage. Nous pouvons parler d'une division géographique avec des personnes déplacées de leurs terres et réparties dans les quatre coins du monde. Une division familiale car se sont de nombreuses personnes séparées de leurs familles, de leurs origines. Il y a aussi eu une réelle division entre africains, marquée par des traîtres qui ont collaboré avec les colonisateurs au détriment de leurs semblables et ceci en échange d'un enrichissement illusoire. La conférence de Berlin de 1885 réunissant les pays occidentaux dans le but de diviser et répartir le territoire africain entre eux est aussi une bonne illustration de l’expression : « Diviser pour mieux régner ». Cette division du peuple africain à tous les niveaux était une arme massive car alliée à un lavage de cerveau, elle en venait à faire croire que dans n'importe quelle situation, il était préférable voire nécessaire pour le bien d'un-e noir-e de trahir et de rabaisser son semblable au profit du colon, du maître. C’est selon moi de là que la croyance selon laquelle la solidarité noire n’existerait pas est née. Elle a inconsciemment orienté les modes de pensées de nombreuses générations d'afro- descendants.

 

Un sentiment de fatalité lié à des événements historiques et à l’implication des acteurs de l’impérialisme occidental pour faire perdurer cette doxa

 

J'ai de la peine lorsque je me remémore certains de nos leaders assassinés par leurs semblables et ce en grande partie à cause de cette croyance que faire confiance aux occidentaux serait toujours la meilleure solution plutôt que de soutenir les siens. Malcolm X, Thomas Sankara, Martin Luther King, Patrice Lumumba, pour vous donner quelques exemples connus de leaders assassinés car trahis par leurs semblables. En y réfléchissant, je me dis que d'une part, je comprends que ces événements puissent créer en nous un sentiment de fatalité. Nous disons : "Regarde l'histoire, tous nos leaders ont été tués par nos semblables, on ne peut vraiment pas être solidaires entre nous."

 

En réalité, ce ne sont pas tous nos anciens leaders qui ont été tués du fait de la trahison de leurs semblables, mais notre croyance l'emporte malheureusement sur la réalité. La conséquence, c’est que lorsque nous sommes confronté-es à une mauvaise expérience avec un de nos semblables, nous serons tenté-es d’affirmer et je dirais même de confirmer : "Voilà, encore un noir !".  Il s’agit d’une croyance limitante, idée évoquée par le psychologue Laurent Gounelle. Nous intégrons une croyance inconsciente et nous agissons de façon à la confirmer. Nous rentrons alors dans un cercle vicieux. C'est comme lorsque par exemple, nous allons avoir une mauvaise expérience avec un homme/une femme infidèle et que nous allons créer la croyance selon laquelle tous les hommes/les femmes le sont. Inconsciemment, dans nos prochaines relations, nous allons adopter une attitude qui va chercher à confirmer et valider cette croyance. J’ai l’impression que l'idée de désunion entre noir-e s’inscrit dans le même schéma.

 

Pour autant, je pense que les acteurs de l’impérialisme occidental n’y sont pas pour rien dans le fait de faire perdurer cette croyance dans nos esprits. Il convient de rappeler que la déstabilisation de l’impérialisme occidental est bien réelle à chaque éclosion d'un-e leader/leadeuse en faveur de la prise de conscience du peuple noir. Thomas Sankara disait : "Lorsque le peuple se met debout, l'impérialisme tremble." Un impérialisme menacé qui par conséquent chercherait par tous les moyens à trouver un traître noir qui marquerait nos esprits, en tuant le leader incarnant la prise de conscience et en renforçant cette croyance selon laquelle les noir-es ne seraient pas solidaires. Il s'agit selon moi d'un message implicite qui dit : "Ça ne sert à rien d'essayer de vous réunir, il y aura toujours un des vôtres pour tout faire capoter". Je pense que nous avons inconsciemment ou non intégré cette idée.

 

Ne pensez-vous pas qu'il est réducteur de considérer que nous noir-es ne pouvons pas être solidaires ? Ce qui suit est très important car nous ne l'entendons pas assez voire très rarement et c'est peut-être la raison pour laquelle notre croyance sur la solidarité entre afro-descendants est biaisée. Une croyance qui se répercute sur nos relations entre semblables, notre façon d'interpréter et de percevoir la réalité. Notre croyance sur la solidarité noire ne doit pas se limiter qu'aux traîtres et corrompus. Ici, je ne souhaite pas affirmer que nous devons nous voiler la face et nier la réalité car des noirs traîtres et corrompus, il en existe. Ce que je veux dire, c’est qu’il faudrait plutôt apprendre davantage de nos leaders/leadeuses qui ont montré que la solidarité entre noir-es était bien réelle.

 

Apprenons davantage de nos semblables ayant fait preuve de solidarité et de loyauté envers les nôtre plutôt que des traîtres et corrompus ayant œuvré contre

 

Tout d'abord, nous évoquons souvent les traitres et les corrompus noir-es durant l'esclavage et la colonisation. Je reprendrais en partie les propos de l'article Les Noirs ont vendu des noirs, décryptages d'un mensonge publié sur le site lisapoyakama. Il nous rappelle qu'il y a eu des traitres et des corrompus dans plusieurs autres communautés et que dans ces cas-là, la communauté entière n’est pas blâmée. En France, le Maréchal Pétain a collaboré avec le régime Nazi qu'il soutenait ardemment. Mussolini en Italie et Franco en Espagne soutenaient également Hitler. En Algérie, il y a les Harkis qui ont travaillé avec l'armée française au moment de la guerre d'Algérie. Et pourtant, tous les Français-es, tous les Espagnol-es et Italien-nes de de souche ne semblent pas porter de croyance selon laquelle il ne faut pas faire confiance à leurs semblables. Idem pour les Algériens et les Berbères.

 

De plus, l’article évoque le fait que l’on parle très peu des résistant-es pendant l'esclavage et la colonisation. C'est pourtant par la connaissance de ces résistant-es ayant fait preuve de solidarité envers leur peuple que nous pouvons déconstruire notre croyance limitante selon laquelle la solidarité entre noir-es ne serait qu'une utopie. L’article met en évidence plusieurs personnalités africaines.

"Amandla" de Hank Willis Thomas, 2014
"Amandla" de Hank Willis Thomas, 2014

 

Tout d’abord, durant la colonisation Portugaise, il y a eu de nombreuses résistances notamment de Somaliens, Kenyans, Tanzaniens ou encore de Mozambicains et ce durant près d'un siècle. Il y a également la reine Zingha d'Angola, une figure importante de la résistance coloniale portugaise. Elle fut la dernière reine de l'Angola précoloniale et y a régné durant trente ans de (1624 à 1665) jusque sa mort. La reine Zingha conseillère et soeur du roi Ngola était considérée comme une vraie tacticienne, disposant d'un fort charisme. Elle représentait le roi Ngola au moment des négociations avec les Portugais. C'est à la mort de son frère qu'elle prit le pouvoir en 1624 et depuis, celle-ci n'a pas cessé de régner et combattre en faveur de son peuple, engageant une armée réunissant pour la plupart des femmes afin de chasser les Portugais du royaume. Son armée a permis de les faire reculer.

 

Le roi Almamy Abdoul Kader Khane a régné sur le fouta toro, ancien royaume de la vallée du fleuve du Sénégal de 1776 jusqu'à sa mort en 1807. Il a fermement interdit la traite négrière dans son pays et ce bien avant la révolution française de 1789.

 

En 2009, la tête du roi Ghanéen Badu Bonsu 2, décapitée par des Hollandais en 1838 a été enfin rendue aux ghanéens. Ce roi a été décapité car accusé du meurtre de deux colons Hollandais, un acte de résistance à la colonisation.

 

Ce ne sont que quelques exemples qui démontrent que durant les périodes de colonisation et d'esclavage, des personnes ont œuvré et ce sont battues pour la dignité et la liberté de leurs semblables. J'ai déjà évoqué Malcolm X, Sankara, Lumumba,... Ne laissons pas les traitres et corrompus guider notre vision de la solidarité entre noir-es mais appuyons nous davantage sur les qualités de dignité, de charisme et surtout de résistance, de loyauté et de fidélité de nos leaders, leadeuses, reines et rois morts pour défendre leurs semblables. Déconstruisons cette croyance qui est tant bénéfique à l'impérialisme. Développons notre conscience au profit de l'élévation de notre estime.

En tant qu'être humain, nous avons tendance à retenir les aspects négatifs des situations et des événements. Martin Seligman, professeur, chercheur en psychologie et initiateur de la psychologie positive évoque cette idée. La psychologie positive entend se concentrer, s'appuyer sur les forces, ce qui fonctionne bien dans une situation, un couple, chez soi, au sein d'une entreprise afin d'atteindre le bien-être incluant la réussite. Par exemple, nous avons tendance à nous concentrer sur les mauvaises notes de nos enfants plutôt que de les féliciter de leurs bonnes notes. Nous voyons ce qui ne va pas bien dans nos couples sans jamais nous questionner sur ce qui fonctionne. Nous essayons de régler nos problèmes plutôt que de nous servir de nos forces pour avancer malgré nos soucis. Dans la vision que nous, afro-descendants pouvons avoir de la solidarité entre nous, nous avons peut-être eu tendance à garder un peu plus à l'esprit les corruptions et trahisons de certains de nos semblables plutôt que la loyauté et le dévouement de ceux-ci.

 

A l'instant où j'écris, je suis contente de voir fleurir de plus en plus d'associations, d’événements, de réunions, réseaux sociaux, sites internet, blogs,...créés par nos semblables,  invitant à notre valorisation et œuvrant pour notre développement économique, social,...Toutes ces belles initiatives sont une preuve de déconstruction de cette croyance de désunion que les tenants de l'impérialisme occidental souhaitent nous voir garder. Valorisons-nous, encourageons-nous, imitons nos leader/leadeuses, pas nos traîtres et corrompus.

 

A.S

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